Réforme du code des marchés publics

L’accès la commande publique des structures d’insertion : un enjeu de pérennisation et de développement

Le 18 septembre dernier, M. Christophe ITIER, s’est s’installé dans ses fonctions de haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale. Conseiller de M. Macron pendant la campagne présidentielle, M. ITIER sera chargé de favoriser le développement de l’Economie Sociale et Solidaire.

Entre autres sujets à traiter, il est possible que le nouveau haut-commissaire soit amener à se pencher sur l’accès des structures d’insertion par l’activité économique à la commande publique.

Miroir aux alouettes pour les uns ou réelles opportunités pour d’autres, la commande publique est de plus en plus souvent citée pour renforcer un nouveau modèle économique des structures d’insertion.

Face aux évolutions multiples de leur environnement, avec leurs vents porteurs et leurs vents violents, les structures d’insertion seront probablement amenées à se positionner de plus en plus souvent sur la commande publique.

En ce sens, cette évolution représentera un enjeu de pérennisation et de développement des structures d’insertion par l’activité économique.

Pour que ce mouvement ne soit pas réservé à certaines structures, il est important de réunir quelques conditions avant de se lancer dans la démarche.

1.Un intérêt économique évident

La réforme du financement des structures d’insertion par l’activité économique

En 2014, l’Etat a remis à plat le financement des structures d’insertion par l’activité économique (IAE) avec deux objectifs principaux en tête : dynamiser le secteur de l’IAE et apporter plus de lisibilité sur ces financements.

Les financements étaient, avant cette date, différenciés selon les structures et ne prenaient pas toujours en compte les caractéristiques et l’efficacité des SIAE.

Il était important d’y voir plus clair sur l’affectation du 1,2 milliard de subventions publiques directes attribué aux 4 000 SIAE de France, provenant de l’Etat (50% des ressources), des Départements (25%) et du FSE (6%)[1], pour ne citer que les principaux.

Deux principes ont donc été posés pour déterminer les nouveaux financements :

  • Généralisation de l’aide au poste, avec un montant annuel par ETP d’insertion spécifique à chacune des catégories de SIAE
  • Généralisation d’une modularité de l’aide au poste : un montant déterminé sur la base de 3 grandes catégories de critères simples et opérationnels (situation de la personne à l’entrée, efforts d’insertion, résultats en terme de sortie), et un montant compris entre 0 et 10 % du montant socle

A l’époque, les craintes des structures sur cette réforme étaient nombreuses. Sur le plan financier, les deux principales portaient sur :

  • La fragilisation financière des structures qui emploient peu d’ETP d’insertion
  • Le maintien du cofinancement des Départements

Aucune étude nationale n’a été publiée, à ce jour, pour mesurer l’impact financier de cette réforme sur les différentes SIAE. On ne sait pas donc pas s’il y a eu des gagnantes et des perdantes.

Mais au-delà de cette réforme financière, la dernière étude de la DARES de 2016 sur le secteur[2] indique que les 2/3 des SIAE anticipent des difficultés financières.

Et paradoxalement, cette même étude signale que les structures « qui répondent à des marchés publics ou celles qui sont bien intégrées dans le secteur de l’IAE sont plus pessimistes sur l’évolution de leur activité ».

Subvention et facturation ? Subvention ou facturation ?

Le financement des structures d’insertion par l’activité économique est assuré classiquement par des subventions et par des facturations, via des marchés publics, quelle que soit la procédure, adaptée ou non.

A chaque structure de trouver le subtile équilibre entre les deux sources de financements pour assurer sa mission.

Ce qui pose problème aujourd’hui, c’est la fragilité de cet équilibre pour certaines structures d’insertion.

D’une part, l’argent public se fait rare, et le niveau des subventions a tendance à baisser. Les subventions aux SIAE ne sont pas toujours maintenues en euro constant.

D’autre part, de nombreux financeurs publics ou parapublics, les collectivités locales par exemple, de leur propre chef ou pour respecter les principes d’achat public, « transforment » leurs subventions en procédures de marchés publics.

Les structures d’insertion avaient pris l’habitude de conclure des conventions avec des financeurs publics pour soutenir des actions qui représentaient un intérêt local.

Elles doivent désormais répondre à des consultations et sont mises en concurrence avec d’autres opérateurs économiques.

Et ça, ça change tout pour certaines structures !

La réaffirmation de la différence entre subvention et marchés publics

Il faut bien admettre que dans la réalisation de travaux ou de services, la frontière entre la prestation de service et le soutien à un projet d’insertion est tenue.

L’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics dans son article 7, apporte une clarification sur ce qui différencie une subvention d’un marché public.

Elle dispose que « ne sont pas des marchés publics, les subventions au sens de l’article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 : « constituent des subventions les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l’acte d’attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire. »

Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires (généralement associations). Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent.

Le tableau ci-dessous résume les deux logiques.

tableau-2-logiques

2. Un environnement favorable pour les SIAE

L’achat public doit favoriser l’achat durable

Depuis le 01 avril 2016, date de l’entrée en vigueur du nouveau cadre de la commande publique, les objectifs de développement durable et de responsabilité sociétale sont un axe fort du nouveau code.

L’acheteur peut intégrer dans sa commande, des considérations en matière de développement durable, dans ses composantes sociales, économiques et environnementales (article 30 de l’ordonnance du 2015), via :

    • Des spécifications techniques, en introduisant des notions tel que le coût du cycle de vie, puisque l’acheteur peut juger une offre en intégrant les couts de cycle de vie d’un produit, d’un service ou d’un ouvrage.
    • Des labels (article 10 du décret du 25 mars 2016), pour prouver que les travaux ou services répondent bien aux caractéristiques d’ordre environnemental, social ou autre.
  • Des marchés réservés (articles 13 et 14 du décret du 25 mars 2016), avec la possibilité de réserver un marché public ou des lots d’un marché à des opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés.
  • Des critères de jugement des offres, puisque l’acheteur peut fonder son choix à partir d’un cout déterminé selon une approche globale (cycle de vie) ou à partir d’une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution parmi lesquels figurent le prix ou le coût et un ou plusieurs critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux et sociaux.

A noter que le terrain juridique pour la mise en place des clauses d’insertion est encore mieux balisé qu’avant. L’acheteur peut faire de l’achat public un levier efficace de promotion de l’insertion en utilisant une des cinq entrées suivantes (voir cadres oranges du schéma) :

  • Une condition d’exécution d’un marché,
  • L’objet même du marché,
  • Un des critères de choix de l‘offre,
  • Un marché réservé à une structure d’insertion par l’activité économique,
  • Un marché de services de santé, sociaux ou culturels réservé à une entreprise de l’économie sociale et solidaire.

Et rappelons que l’acheteur n’est pas obligé d’inscrire une « clause d’insertion » dans un marché pour favoriser l’insertion et l’emploi. Il peut également, pour répondre à ces besoins propres de prestation ou de travaux, dans le cadre d’une procédure classique de consultation, faire appel à une structure d’insertion (voir cadre bleu du schéma).

 

Les 6 leviers d’achat favorisant l’emploi et l’insertion

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Plus globalement, il est également important de souligner que le nouveau cadre de la commande publique favorise les pratiques de sourcing de fournisseurs.

Cela représente une occasion pour les SIAE de valoriser leur savoir-faire « économiques et sociaux ».

Un accès inégal des SIAE a la commande publique

Selon la source (enquête 2012 de l’AVISE ou étude de la DARES citée plus haut), de 42 à 44 % des structures d’insertion par l’activité économique ont eu accès à des marchés publics.

Ces taux sont en augmentation régulière.

Pour l’Avise :

    • 24% ont eu accès à des marchés publics ne comprenant pas de clause d’insertion
    • 17% ont eu un accès direct (seul ou en cotraitance) à des marchés publics comprenant des clauses d’insertion (conditions d’exécution ou critère de choix d’un offre)
    • 14% ont eu accès à des marchés de services d’insertion et de qualification professionnelle
  • 20% ont eu accès indirect (via la sous-traitance ou la mise à disposition de personnel) à des marchés publics comprenant des clauses d’insertion

Pour la DARES :

    • Les marchés publics représentent 30 % du chiffre d’affaires des SIAE
    • Les Entreprises d’Insertion sont les plus concernées : 60 % répondent à des consultations publiques ; pour 40 % d’entre elles 50 % de leur chiffre d’affaires est issu de marchés publics
  • Pour les Associations Intermédiaires et les Entreprises de Travail Temporaire d’Insertion, les marchés publics représentent moins de 25 % du chiffre d’affaires

Les deux études montrent que les SIAE qui accèdent à la commande publique :

    • Sont de grande taille
    • Font partie d’un réseau d’insertion ou entretiennent des relations avec d’autres SIAE (logique de cotraitance)
  • Sont présentes sur des marchés de services aux entreprises et aux collectivités, de BTP, de déchets et d’espaces verts.

3. Les conditions à réunir par les SIAE pour accéder à la commande publique

Notre pratique de l’accompagnement des structures d’insertion par l’activité économique nous enseigne que celles qui réussissent à accéder à la commande publique, ont défini une méthodologie d’action qui porte sur les 5 champs suivants :

  • L’accès à la commande publique
      • Quels types et volumes d’activités la SIAE peut traiter ?
      • Quelles capacités ou risques à exécuter la prestation ?
      • Quels constats posés sur l’expérience de la SIAE dans l’exécution d’un marché public ?
      • Où trouver l’information sur les consultations à venir ?
    • Doit-on mener des démarches pro actives ?
  • La préparation de sa candidature.
    • Comment constituer son dossier administratif et quels points de vigilance ?
    • La rédaction de quelques points clefs : acte d’engagement, DPGF, etc. ?
  • La préparation de son offre
      • Rédaction du mémoire technique
      • Lecture critique du cahier des charges (CCTP) et impacts sur la réponse.
      • Prise d’informations auprès du client.
    • Facteurs clefs : ce qu’il est important à mettre en avant dans la réponse
  • La recherche de partenaires : entreprises et/ou SIAE
    • Répondre seul ou à plusieurs : mandataire, co traitant et sous-traitant ?
    • Les complémentarités d’intervention et les conventions de partenariat
    • Les situations à risques ou potentiellement conflictuelles ?
  • Les impacts sur le modèle économique et l’organisation
    • Comment ajuster son système d’organisation : moyens techniques et humains. Evolution des emplois et des compétences, notamment la place des personnes en insertion ?
    • Comment ajuster son système financier et son modèle économique : prévisionnels financiers, calcul des coûts de revient, système de facturation, impacts de la fiscalisation ?
    • La gestion des périodes de transition entre le mode « subventions » et le mode « marchés publics »

Conclusions

Il apparait donc que l’achat public, de plus en plus responsable, représente une véritable opportunité pour les structures d’insertion… qui doivent s’y préparer !

Il nous semble également important de souligner que cette démarche a d’autant plus de chances de réussir qu’elle est menée dans une stratégie d’alliance avec l’ensemble des parties prenantes : acheteurs publics, réseaux IAE, acteurs de l’emploi (Direccte, PLIE, Maisons de l’Emploi, etc.).

[1] Source Avise 2014

[2] DARES Analyses – Septembre 2016 n °052

Nos références :

> Guide de l’achat responsable de l’Union Sociale de l’Habitat

> Accompagnement des PLIE de l’Essonne dans l’installation d’une plateforme d’achat responsable en Essonne